Nathalie Berger Balland
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Germinations
« Si le monde aspire à l’unité, c’est grâce aux images et aux images seulement. »
Emanuele Coccia[1]
C’est en 2016, après avoir exploré maints chemins créatifs, que Nathalie Berger Balland se met à peindre. Dès ses premières réalisations, tiges, branches et feuillages s’épanouissent et prolifèrent. Son intérêt pour les formes naturelles date de l’enfance : au gré des promenades, elle ramassait des coquillages, des cailloux, des racines ou des branchages. Cette curiosité ne s’est pas tarie, son intérieur est toujours peuplé de ces humbles joyaux aux formes variées, disposés tantôt en collection, triés par couleur ou par forme, tantôt en installation discrète. Depuis longtemps, les artistes prélèvent dans la nature des objets dont les formes les inspirent. L’atelier du sculpteur Henry Moore était envahi par une vaste collection d’objets naturels hétéroclites ; Georgia O’Keeffe s’entourait aussi de choses prélevés dans la nature ; les artistes contemporaines Ruth Ohlig-Kiesel ou Eileen Hutton collectionnent des objets naturels. Si les naturalia, merveilles de la nature, ont fasciné les riches collectionneurs, les plus humbles objets de la nature attirent l’attention de qui sait regarder et voir. Nathalie Berger Balland avoue posséder un grand nombre de boîtes où s’entassent de menues trouvailles. Ces boîtes, une déclinaison modeste du cabinet de curiosité naturaliste, sont un musée d’histoire naturelle intime où s’élabore une mémoire matérielle. La collection, loin d’être une simple accumulation, rend visibles les différences subtiles entre chaque objet. Or, la nature se caractérise par sa diversité et chaque racine, chaque fragment de roche, chaque coquillage présente des singularités qui touchent le regard de l’artiste : « Les formes naturelles me fascinent, leur finesse, leur variété, la nature m’offre un éventail de merveilles, d’inspiration, plantes, arbres, algues, diatomées… Mon monde est entre infiniment petit et infiniment grand » explique Nathalie.[2]
Attirée par la céramique, elle a commencé à orner des tasses de délicats feuillages roses qui débordent timidement des espaces normalement assignés au décor. Elle a réalisé ensuite des assiettes qu’elle tourne et cuit avant d’y déposer de fins motifs végétaux. On entrevoit dans ces premières compositions un équilibre entre les vides et les pleins, le blanc et la couleur, qui persiste dans ses travaux ultérieurs. La végétation, déjà, végète. Rappelons que le verbe végéter, du latin vegetare, désigne la capacité du végétal à germer, pousser, éclore, proliférer, renaître sans cesse malgré les difficultés. Si le cadre imposé par le volume d’une tasse, le cercle d’une assiette ou le rectangle d’une feuille restreint l’espace, le végétal lui tend, indocile, à déborder, à s’immiscer, cherchant à végéter à tout prix.
Rapidement dans la carrière de Nathalie, la céramique a laissé la place à des dessins et des peintures sur papier, comme si peindre des feuillages amenait naturellement à travailler sur feuille. Après une série d’œuvres de petite taille, constituées de minuscules points, l’artiste s’est à nouveau laissée guider par les formes imprévisibles des branchages et a composé des peintures rhizomiques. Au fil de ses promenades, que ce soit en ville ou dans des paysages naturels, elle remarque les herbes qui percent le bitume, les plantes souvent négligées qui poussent dans les interstices des murs, les espèces endémiques des environs de Marseille mais aussi celles de l’île de Ré ou de lieux plus lointains où elle aime randonner. Arpenteuse observatrice de différents terrains, ou terreaux, elle esquisse au crayon des formes, des configurations d’où dérivent les compositions. Ce n’est pas une plante en particulier qu’elle dessine mais la végétalité elle-même, c’est-à-dire la capacité du règne végétal à persister et à se tourner vers la lumière, vers l’extérieur. Dans les œuvres de Nathalie, la végétation se déploie en tous sens, les tiges et les branches émergent des aplats de peinture, offrant leur vitalité et revendiquant leur obstination à croître, à s’extérioriser. « Tout en l’arbre est ouvert et offert au monde » écrit l’écologue Jacques Tassin[3]. « Comment ne pas éprouver une vive jalousie à l’égard des arbres, interfaces vivants et libres qui se prolongent et se confondent avec ce qui les entoure ? » s’étonne-t-il. Elle-même jardinière, Nathalie sait apprendre des plantes, de leur lenteur, de leur persistance, de leur adaptabilité à l’environnement. Les végétaux se développent en harmonie avec leur écosystème ; ils co-habitent le monde. Jacques Tassin perçoit dans le modèle végétal une capacité à composer avec la différence et un décentrement parfaitement illustré dans les formes rhizomiques tracées avec soin par Nathalie Berger Balland. Les courbes et arabesques racinaires qui se propagent sur la feuille évoquent la sensibilité fractale des végétaux. Leur capacité à pousser vers l’air et la lumière, et à s’enraciner dans le sol, dans un mouvement inverse, est rendue visible. Jamais les branches ou les racines ne conquièrent ou ne colonisent l’espace du tableau : elles semblent avancer par tâtonnements, chercher la forme juste, l’équilibre parfait.
Les dessins sont monochromes, d’un oranger vif savamment choisi. Délaissant temporairement sa couleur-signature, Nathalie Berger Balland a récemment cherché une teinte bleutée dotée d’une profondeur mystérieuse. Mais que les formes pleines soient oranges ou bleues, elles ont la même densité. La couleur à l’huile est appliquée directement sur le papier puis essuyée ou frottée de sorte à perdre sa brillance et à se répandre légèrement autour de la forme épaisse. Si le tracé des végétaux est toujours précis et les formes équilibrées, l’artiste se sait absorbée pleinement par la composition, en transe parfois. L’orange lumineux, à la fois solaire et terrestre, s’approche du rouge sans être contaminé par son agressivité, distillant un sentiment d’urgence propre à nous rappeler que les plantes sont menacées. La teinte orange des végétaux n’est pas sans rappeler le rouge de nos veines, une ressemblance qui évoque l’alliance entre le végétal et l’humain que le botaniste et dessinateur François Hallé n’a de cesse de célébrer : sans les arbres, nous ne pourrions pas vivre. Jacques Tassin souligne pareillement notre lointaine connexion aux arbres et l’absolue nécessité de rester « branchés » à la nature pour conserver notre bien-être et notre immunité. Nous sommes tous héritiers symboliques de Myrrha ou Daphnée : leurs métamorphoses arbustives soulignent une continuité entre l’humain et le végétal qui devrait éveiller le désir d’une cohabitation pérenne.
Sans se défaire de sa passion pour le végétal, Nathalie Berger Balland a toujours renouvelé sa pratique, jouant avec les formats et les matières, sachant s’enrichir des échanges réguliers avec les artistes marseillais près desquels elle travaille. Elle a peint des arbres sur des blocs de bois blancs soigneusement polis, dessiné des branches sur des petits anneaux de céramique mate ressemblant à des amulettes ou bien à des tours miniatures, inséré ses délicats dessins dans de petits écrins de verre. Les dessins sont cadrés de façons variées, le papier est parfois doucement déchiré, exacerbant la granularité du support. L’artiste cultive un goût certain pour la matière et les propriétés tactiles de ses supports. Dans l’une des compositions, les racines se prolongent par un fil qui déborde de la feuille pour s’enrouler sur le bord du cadre. Sur des peintures récentes, un carré de gaze est collé au motif végétal, tel un pansement. Aucun alarmisme à la surface, mais une invitation à prend soin de végétaux qui, quoi qu’il advienne, parviendront à survivre : c’est la résilience des plantes, leur puissance proliférante qui est chantée poétiquement. Entre force et vulnérabilité, les végétaux de Nathalie, trouvent leur chemin et nous indiquent une voie sage, celle de la résilience et de l’ouverture à la diversité du monde.
[1] Emanuele Coccia, La Vie Sensible, Paris, Payot, Rivages poche, 2013, p. 66.
[2] https://www.galerie1809.com/nathalie-berger/
[3] Jacques Tassin, Penser comme un arbre, Paris, Odile Jacob, 2018, p. 34.

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